Cinq jours bloqués entre copains et des conditions ni réjouissantes ni engageantes : pas question d’annuler ce raid pour autant. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Et puis le régional de l’étape a sorti la nouvelle botte secrète du massif des Grandes Rousses. Les refuges du pic du Mas de la Grave et du Goléon sont désormais tous deux ouverts et surtout gardés en hiver, offrant dès lors de nouvelles possibilités. Rayonner à partir de deux camps de base, tout en réalisant un raid en itinérance, voilà un plan qui réunit l’alpha et l’oméga et contente tout le monde.
Texte : Romain Debrest
1er jour – Dimanche 26 février 2023
Traversée du Gros Têt – 9 km – 900 D+
Nous nous retrouvons ainsi au parking du Chazelet, station familiale des Hautes-Alpes nichée au-dessus de la Grave. Flo est déjà là, il a installé son petit duplex la veille histoire d’être aux premières loges. Pas le choix sur la séance, ici on joue tous les jours la Meije, c’est un classique et c’est grandiose. Comme la matinée est déjà bien avancée, nous on va plutôt s‘orienter vers un court-métrage. Nous sommes à 1800 m et pourtant l’enneigement est déjà déficitaire. En un mot, c’est sec. Il va falloir être malin si l’on veut s’amuser. Et la conséquence immédiate, c’est que nous allons troquer nos habituelles montures… Adieu splitboards. Il paraît qu’il est aussi possible de prendre du plaisir à ski, alors allons voir ça ! Objectif du jour, rejoindre le refuge du Pic du Mas de la Grave par le Gros Têt aussi appelé Cime du Rachas, et coup de chance il semble que nous soyons seuls dans la salle.
L’avantage du ski, il faut bien le reconnaître, c’est qu’on est quand même plus léger. Pas forcément plus rapide certes, mais léger c’est incontestable ! Nous remontons le long de la piste de ski, il n’y a personne. Nous sommes fin février, le téléski d’Emparis ne fonctionne déjà plus faute de neige, c’est d’une tristesse infinie, mais au moins nous sommes tranquilles ! Du coup on discute, on papote, on prend des nouvelles des conjoints, des familles et des copains respectifs. Il s’est passé tout ça depuis la dernière fois ? Partir en montagne c’est avant tout revenir à l’essentiel et parler des choses qui comptent vraiment.
Et nous voilà déjà sur le plateau d’Emparis. Petite pause le temps d’avaler nos sandwichs, voilà que le ciel se couvre et que le vent se lève. Nous qui pensions faire de cette première journée un happy hour tranquille pour se mettre en jambes, il va falloir se couvrir un peu. Nous dépassons le Petit Têt, malgré le vent et une visibilité qui s’est considérablement réduite. Une nouvelle bosse se profile, c’est le Gros Têt. On imagine que c’est beau, on s’extasie intérieurement et on décide surtout d’aller rapidement philosopher au chaud. On descend d’une centaine de mètres sous le sommet pour basculer sur les pentes nord-est. On sort les manettes, ambiance Mario Kart à éviter les peaux de bananes et les requins tortues que le vent a cyniquement disséminé sur les premiers hectomètres. L’appel de la bière, semble-t-il améliore l’acuité visuelle, à moins que la visibilité soit devenue meilleure, toujours est-il que nous parvenons finalement sans encombre au Refuge du pic du Mas de la Grave. Et lorsque nous jetons un coup par la baie vitrée sur cette face immensément large du Gros Têt, nous nous disons que dans de bonnes conditions, cela doit être royal. C’est sûr il faudra évidemment revenir un jour ou l’autre.
2ème jour – Lundi 27 février 2023
Pic du Mas de la Grave en boucle – 13 km – 1200 D+
Après une bonne nuit de sommeil, l'objectif du jour est de rejoindre le pic éponyme. Et si possible faire une jolie boucle pour aller voir du paysage et revenir par gravité. Tant qu’à faire en bon snowboardeur, autant s’éviter tout effort superflu. Du refuge nous longeons le torrent du Gâ. Avec un nom pareil, le froid du matin et un peu d’imagination, on s’attend à voir surgir Thorgal et le maître des montagnes. Il n’y a pourtant personne, seule la fureur de l’eau froide qui frappe les rochers se fait entendre. Nous passons les Chalets de la Grande Buffe, puis remontons directement jusqu’à l’Agnelé. On accède à l’antécime en remontant l'arête, Éole s’est ici bien amusé pour découvrir les dalles, mais l’on progresse sans difficulté. De l’antécime on rejoint alors le sommet du Pic du Mas de la Grave (3020 m). Point stratégique ou tout du moins curiosité administrative, car c’est la confluence exacte des départements des Hautes-Alpes de l’Isère et de la Savoie.
Petite pause contemplative, nous avons pour la première fois une vue sur la suite des réjouissances. On mange un bout, on prend quelques photos, on imagine revenir l’été, et on se prépare surtout à descendre. Il parait que l’été ça roule aussi ici, si l’on aime les ambiances pénitencier, c’est le paradis du caillou. Nous on décide de s’évader, part le versant est, afin de poursuivre notre boucle. Méfiance toutefois car l’entrée est un peu raide et la pente à plus de 30°. La neige est loin d’être excellente, mais nous avons malgré tout une petite moquette qui nous permet de faire de grandes courbes ! Attention à ne pas s’emballer, il faut tenir la ligne de niveau car la partie devers et traverses va commencer. On serre pour passer à l’aplomb de la Cime de la Recoude. On gaine, on appuie sur les carres, mais la manip sera dans tous les cas inévitable. Nous remettons les peaux pour rejoindre le Col de l’Infernet, puis le point 2780. Désormais sur le papier, le plan est limpide, rejoindre par gravité la Crête de la Buffe pour arriver directement au refuge. En théorie ça passe, reste à voir évidemment la pratique ! Alors c’est parti on repart en mode renforcement musculaire, on gaine, on tient les appuis, et contre toute attente cela passe sans difficultés… on en serait presque déçus ! Il faut dire qu’avec des skis c’est quand même drôlement plus simple. Et si le plaisir c’était aussi ne pas se mettre des missions ? Cette Crête de la Buffe est un boulevard que nous redescendons en mode cruising, les fenêtres grandes ouvertes, pour finir par nous frayer un chemin entre les plaques herbeuses qui apparaissent déjà au-dessus du refuge. La boucle est quasi bouclée, il ne reste plus qu’à aller boire une bière ! Deuxième nuit au refuge, nous sommes devenus des habitués. Cécile la gardienne nous a gardé le dernier créneau du sauna, on vient d’inventer le raid thalasso. On vient déjà de faire 2 tours de sablier, on mijote depuis 30 minutes et nous avons épuisé l’ordre du jour. On se résout à sortir, quand Céd, nous balance qu’il a un ultime point à aborder. Les gars… sinon je vais me marier. En une seconde il vient de tomber un mètre de peuf dans notre tonneau, c’est la folie, il faut relancer le sablier !
3ème jour – Mardi 28 février 2023
Traversée Aiguille du Goléon – 12 km – 1700 D+
C’est parti pour le 3ème jour, l’étape centrale et charnière, peut-être la plus belle. Une étape de transition pour aller d’un refuge à un autre. Mais rien à voir avec le Tour de France où les étapes de transitions sont synonymes de mornes plaines et d’ennuis, cette étape a tout pour être grandiose ! Nous voilà repartis par notre itinéraire de la veille, nous entamons cette journée par la Crête de la Buffe, on connaît le chemin, c’est quasi tout droit. De là nous remontons directement au point 2796, puis remontons l'arête plein nord pour atteindre le Pic Sud de la Buffe d’en Haut. Ici tout s’appelle la Buffe ou ne s’appelle pas. A partir de là, c’est plein est, l’aiguille du Goléon majestueuse est devant nous, il n’y a absolument personne, nous sommes tout simplement là où il faut être. A notre gauche nous regardons les aiguilles d’Arves qui émergent des nuages, dans un ballet à la fois ordonné et gracieux. Le silence qui nous entoure est une belle musique.
Dans nos pensées on oublierait presque qu’il faut aussi avancer, ce que l’on fait, mais légèrement moins vite depuis quelques minutes. Il y a beaucoup moins de neige et désormais plus de cailloux, on passe en mode portage. C’est chouette on commence à gravir la lune, dommage apparemment c’est la face éclairée par le soleil. Nous remontons malgré tout à un bon rythme en direction de l’Aiguille Occidentale de la Saussaz. Petite pause casse-croûte, abrités sous une barre vers 3200 m. La pente se raidit encore mais on retrouve de la neige, alors on remet les peaux pour progresser plus facilement. Ce n’est que de courte durée, car une nouvelle manip s’impose, cette fois la pente et l’état de la neige nécessitent de remettre les skis sur le dos. C’est bien on pourra toujours dire qu’on a fait une belle journée de manips, si jamais on croise des curieux. Nous finissons par arriver au col, le temps n’est pas à la fête, le ballet gracieux de nuage a fini par se transformer en un charivari et nous sommes au centre de la parade. Que faire, redescendre vers le refuge directement ou continuer par l'arête alors que la visibilité est passée en mode RTT. Petit moment de concertation, nous consultons toutes les sensibilités, les courants, et les représentants de chaque entité… pour arriver à la conclusion que si nous sommes au cœur du maelström, en montant un peu plus haut, nous devrions passer au-dessus. On n’est pas forcément météorologues mais on est un peu pragmatoloques, alors on va aller voir !
Nous voilà repartis, l'arête est assez large sur cette première partie, et passé le Bec de Grenier nous sortons de la purée ! Nous allons pouvoir progresser dans de bonnes conditions et profiter de cette belle arrête. A partir de là on enfile les espadrilles à clous, l'arête est encore large mais il faut commencer à être attentif. Mais on ne doit pas tous avoir le même modèle d’espadrilles, ou alors je n’ai pas dû lire le mode d’emploi, car Flo nous a distancés et gambade toujours allègrement. Pourtant en prenant des photos, ça devait l’occuper un peu et surtout le ralentir. Cela devient plus aérien et je passe en mode concentration, niveau sudoku expert. Il n’y a pas de grosse difficulté, mais je suis incontestablement moins rapide. Nous atteignons finalement le sommet de l’Aiguille du Goléon (3427 m), c’est beau, c’est calme, c’est chouette. Flo a eu la bonne idée de repérer la descente pendant que je cueillais des fraises, par ici la sortie, y’a plus qu’à descendre. Nous empruntons le couloir du Verdillon, vu les conditions la descente n’est pas forcément agréable, à défaut elle sera efficace. La suite ne présente pas de difficulté, le vent a même accumulé un peu de neige par endroit, nous donnant l’occasion de faire quelques virages sympa et nous rejoignons tranquillement le refuge. Nous n’avons finalement croisé personne aujourd’hui encore, il faut croire que c’était la bonne face de la lune.
4ème jour – Mercredi 1er mars 2023
Cruq des Aiguilles – 11 km – 550 D+
On a passé une super soirée et surtout une très bonne nuit, bien aidés par Myrtille et Olivier qui nous avaient préparé un super repas. La providence avait privatisé pour nous le refuge, on a pu refaire le monde en large et en travers. Aujourd’hui c’est boucle saison 2, l’objectif est d’aller visiter la copro du refuge des Aiguilles d’Arves. Comme il n’y a personne au refuge, on élargit le groupe, Myrtille et Olivier ont eux aussi envie de se dégourdir les jambes. Le plan est de monter tous ensemble jusqu’au Col de la Charrat et ensuite on se splitera pour que nous d-basculions derrière. Seulement, les conditions du terrain ont changé les plans. Le vent a encore soufflé toute la nuit, c’est le comble il n’y a pas de neige mais on a quand même des accumulations. Surtout que celles-ci sont bien visibles et surtout pas forcément au bon endroit. On prend nos distances et on monte malgré tout, deux groupes se forment au fur et à mesure, chacun sa route, chacun son chemin. Mais au bout de 350 mètres de dénivelé, Olivier et moi qui avions pris l’option bâbord, nous nous arrêtons une seconde fois, pas forcément optimistes quand à la suite. Vu les conditions nous décidons de faire appel à l’arbitre. On prévient l’équipe en face, on leur fait part de nos doutes, on se concerte finalement et on finit par s’en remettre collectivement à l’arbitrage vidéo. L’attente est insoutenable, ça y’est la décision est prise, le but est validé. Fin de la partie, nous décidons de rejoindre les vestiaires du refuge. Contre mauvaise fortune bon cœur, on en profite pour prendre un chocolat chaud.
S’il l’on ne peut pas passer et comme le reste n’est guère plus encourageant, on se résout à raccourcir d’un jour. Nous ne ferons donc qu’une nuit au Goléon. Il faudra revenir, pour le cadre évidemment, les nombreuses possibilités qu'il faudra explorer au départ du régate, mais aussi pour la gentillesse et l’accueil de Myrtille et Olivier. Il nous reste à regagner le Chazelet et à profiter de cette dernière journée. On passe par le Col du Cruq des Aiguilles. C’est un passage plutôt esthétique. Il faut bien le dire, on tâtonne un peu pour trouver l’entrée, avec l’impression une fois en bas d’avoir réussi un escape game. Dernière pause, on a trouvé un caillou au milieu d'un champ de neige, sur lequel on peut poser nos fesses. Reste à descendre, de nouveau en dévers pour rejoindre les pistes de ski. Ce fut finalement un peu le thème de ce raid, devers… et contre tout. Retour à la réalité, tiens il y a du monde ? D’où sortent toutes ces personnes ?
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